vendredi 6 janvier 2012

Comment je vais te raconter les pauvres

Mon lapin, 

Etant donné que je n'ai pas grand chose de neuf à te mettre sous la dent, je vais te narrer une petite heure passée avec un monsieur qui vient de loin (palala...pou...palala...pou) (si tu n'avais pas reconnu, je faisais Corneille, le chanteur noir qui vient de loin, mais pas du même coin que Monsieur B.)
Comme ça, si tu bloques un jour dans une soirée un peu morne, tu pourras toujours t'attribuer cette histoire, ça meublera. Je suis comme ça, moi, je t'offre de purs sujets de conversation à utiliser à foison en société. 


Bien. Je t'en avais déjà causé, du monsieur-là, rapport à sa fillette mineure qu'on sait pas où elle est, si elle fait le tapin dans un coupe-gorge belge, ou si elle ronronne de plaisir dans les bras de son tout aussi jeune époux. Qu'on était sensé l'accueillir dans mon stage mais que le jour du déménagement, plus de fillette et des parents plutôt hostiles au dialogue la concernant. 

Bon, l'autre jour, j'accompagne le monsieur (qui, soit dit en passant, est très funny, même s'il ne sait dire en français que "à gauche" et "à droite") (oui, c'est surprenant) dans une asso caritative du coin, histoire d'inscrire la famille. On rentre dans l'accueil de l'asso où gisaient une trentaine de personnes, que je ne nommerai pas épanouies. Echouées sur tous les sièges dispo, Monsieur B. et moi attendons donc debout qu'un bénévole daigne nous accorder une attention par un sourcil levé sur un air réprobateur. 

Ca m'a toujours fasciné, ça. T'arrives dans une asso caritative, gérée par des bénévoles, et c'est limite si tu te fais pas cracher dessus, genre bande de sales profiteurs de pauvres, retourne dans ton pays, bâtard. Pourquoi tous ces retraités (parce que soyons lucides, les bénévoles sont toujours des vieux) choisissent d'aider des gens si c'est pour être aussi désagréables que Daz, le chat de Joker ?? Si c'est pour frimer au Loto du dimanche, je trouve ça moyen-moyen. 

Mais enfin, je me disperse, je-me-dis-perse. 
Le vieux roquet de l'accueil commence à aboyer à mon bon monsieur que OUI ENFIN BON VOUS VOYEZ BIEN QU'YA PLEIN D'MONDE LAAAA ! J'interviens, sachant que Monsieur B. comprendrait juste qu'il se fait sacrément engueuler, mais sans traduire le motif. Je me présente, sourire apaisant et regard complice, "travailleuse sociale accompagnant Monsieur B. pour une inscription, il y a un problème madame ?".  Le vieux roquet me jauge de pied en cap et me répond : "BEN R'GARDEZ L'MONDE QU'YA LAAAA. ON PEUT PAS TOUT FAIRE, NON ON PEUT PAS TOUT FAIRE". Il faut repasser le lendemain. 

Va-t-en rassurer un étranger qui entrave que dalle, toi, quand il entend l'autre morue hurler tout ce qu'elle peut. T'as beau ressortir ton sourire apaisant tout-va-bien et dire "ça va ça va", il te regarde, regarde l'autre morue et fais "tssss" en faisant non de la tête. 

Le lendemain, pas un chat à l'accueil. Du coup, les petits vieux se font un café, se font la bise, se font des blagues de petits vieux (Madeleine qui a mal rempli une feuille d'inscription ahahah), discutent de thèmes de petits vieux (les petits-enfants), stressent comme des petits vieux et finissent par lever le fameux sourcil dans notre direction. Monique nous dit de la suivre dans son cagibi bureau. Attention, Monique va remplir une feuille d'inscription, et visiblement, Monique est comme Madeleine, elle ne maîtrise pas encore bien toutes les cases à remplir. Du coup, Monique soupire déjà en sortant la feuille d'inscription du tiroir du bureau. Entendu que Monsieur B. est du genre impatient (à soupirer bruyamment, gigoter des jambes et lancer des regards mauvais quand il s'emmerde), mon sourire commence à se crisper. Je sens que l'inscription va être désespérément longue...

Monique regarde Monsieur B., me regarde, décide probablement que je suis plus digne d'intérêt et le dialogue s'installe :
MoniqueA-LORS. VOUS... ARRIVER... FRANCE.... QUAND ?
Princesse : Alors, moi, en fait, je suis travailleuse sociale et j'accompagne Monsieur B. aujourd'hui. 
Monique (presque déçue que ce couple improbable n'en soit pas un) : Ah oui, je vois....
Princesse : ?
Monique : Bon, et il a son titre de séjour, le monsieur ?
Monsieur B., qui comprend plus qu'il ne cause quand même, pose une quarantaine de feuilles pliées en 4 ou en 8 sur le bureau et commence à farfouiller dedans pour trouver celui qu'il faut donner. 
Monique : Boooonnnn..... Alors........ Monsieur.... ? Ah mince, j'ai pas mis mes lunettes................................. ah voilà...... c'est mieux ! (sourire à mon attention) alors......donc oui...... identité..... Monsieur alors.... B...... E...... R......
Le bureau où le temps s'était arrêté.

Une fois les 7 cases d'identité des membres de la famille remplies, Monique me demande l'attestation comme quoi ce sont bien des pauvres et pas des riches qui se déguisent en pauvres. Je lui donne et comme je me fais chier comme un rat mort, j'engage la conversation. J'indique entre autre que la famille se compose de 4 enfants.... 
Monique a tiqué. Elle lève son nez de la feuille, me regarde par dessus ses lunettes.
Monique : 4 enfants ? Pourquoi j'ai 5 écris sur la feuille ? 
Princesse : Hein ? Ah oui ! Euh.....
Monique : Ah non MAIS ILS SONT COMBIEN D'ENFANTS LA ??? FAUT PAS ME MENTIR HEIN !!! 
Princesse (7 ans et demi) : Ah non non, mais euh.... je vous mens pas hein.....
Monique : (ouvrant la petite fenêtre qui sépare son bureau de celui de Gilbert) : Gilbert, ya entourloupe là !!!!
Princesse : Non, non, mais cépaçaaaaaaaa ! Ya juste la grande, on sait pas où elle est. 
Monique (pointant du doigt le nom de l'aînée sur la feuille d'inscription) : Elle ?
Monsieur B. grommelle, commence à s'agiter et penche son grand corps vers Monique.
Monsieur B. (pointant du doigt le nom de l'aînée sur la feuille d'inscription, tout près du doigt potelé de Monique) : MAI...SON.... MAI....SON.
Monique (sourcil interrogatif dans ma direction) : Elle est à la maison ?
Princesse (très très vite) : Je vous dis qu'on sait pas où elle est, donc mettez là sur votre liste, parce qu'aussi bien elle va revenir demain, ou jamais, mais demain peut-être. 
Monique (calmée par Monsieur B.) : Bon ben eh, un de plus un de moins....

Monique reprend laborieusement sa feuille d'inscription. Le silence s'installe parce que personne n'aime jamais parler d'une enfant disparue. Moi je ferme ma gueule parce que j'ai honte de représenter un service social pas foutu de se renseigner plus que ça, Monique ferme sa gueule parce qu'elle sent de Monsieur B. est bof friand du sujet, et Monsieur B. ferme sa gueule parce qu'il parle pas français de toute façon. 
Seul les jurons de Gilbert se font entendre ; il n'arrive pas à utiliser Word sur le seul ordi utilisé par les bénévoles. Et pourtant, Gilbert, c'est un peu l'informaticien de l'équipe quoi. 
On l'entend également parler à une autre étrangère ; il hurle parce que 80% des gens qui s'adressent aux étrangers ont l'impression qu'ils sont durs de la feuille par la même occasion. 
"DONC.... VOUS - ETRE - MARIEE - OUI OU NON ??? ..... oohhhhh mais c'est pas vrai !!! (clique clique clique clique sur la souris) NON ? PAS MARIEE ? ben tiens ! la dernière fois elle l'était ! (Monique pouffe de rire) BON. VOUS - VIVRE - SEULE ALORS ? ....... SEULE..... SSEEEEUUULLLEEE. bordel c'est pas compliqué quand même SEULE TOUTE SEULE PAS MARI PAS COPAIN VOUS JUSTE VOUS SEULE..... seule quoi.... bon ben je mets seule kestu veux....."

Monique : Bon, voilààà. C'est bon, je crois. Je vais vous donner un rendez-vous, enfin pas à vous, à Monsieur B. quoi, m'enfin vous lui expliquerez hein. Et puis, je vais vous expliquer ce à quoi il a droit, d'accord ? 

S'ensuit un monologue d'un quart d'heure sur le fonctionnement de l'asso, durant lequel je note les info tout en me disant qu'avant que Monsieur B. comprenne quelque chose, il a vingt fois le temps de se faire éjecter de France.... 

Monique se lève de sa chaise, nous ouvre la porte en nous disant au revoir, et là Monsieur B. sort sa carte-séduction majeure : sa poignée de main. Il a une poignée de main terrible qui fait fondre quiconque la reçoit ; ferme, accompagnée d'un grand sourire, d'un regard doux et brillant dans les yeux et un "melci bocu" absolument charmant. Monique, ça lui a fait zizir, ça. 

Quand elle m'a serrée la main à moi, elle m'a demandé si je travaillais qu'avec ce public là, les Gétrans. J'ai dit que oui, pour le moment. Elle m'a dit qu'elle m'admirait. Je lui ai répondu que moi j'étais payée pour ça, et que donc, j'admirais plutôt les bénévoles comme elle. Elle a insisté en disant que non, vraiment, des jeunes comme moi, ça courait pas les rues. 

Et ça, ça a pas plu à Lorie, tu peux me croire ! 


9 commentaires:

Simone Signorait a dit…

L'avantage d'être bénévole dans le 9-3 c'est que tout de suite t'as beaucoup moins de vieux, et beaucoup plus de jeunots, comme moi. Mais je sais pas si c'est mieux, parce que ça fini souvent en: "Baaaaaaaaaaaaah, euuuuuuh, attendeeeeeez, Bernadeeeeeettte?"

Mais bon, je reconnais très bien les blagues di-merda en mode: "je parle devant lui comme s'il captait rien il a qu'a parlé la France et tant pis pour son dossier". Blagues qui sont ensuite reprises au repas du midi partagé au chinois d'à côté, où l'on arrive tels des colons, table réservée et kirs offerts déjà servis. Et oui, notre mission civilisatrice terminée, nous sommes choyés et vénérés par les estrangers d'à côté. (mais c'est bon enfant)

J'ai ri, mais j'ai ri pour l'informaticien, j'ai le même bonhomme, gentil et tout hein, mais il me dit qu'il est responsable du système. Après je me suis rendue compte qu'il n'arrivait pas à aller sur l'internet... LAULE.

T'as été le lance-ba à Lorie le compliment? Quelle perfidie...!

Princesse a dit…

Arrête Simone, tout le monde sait que quand un jeune fait du bénévolat dans le 9-3, ce sont des TIG.

Méfie-toi de la bouffe chinoise. Je ne te dis que ça....

Evidemment, que je le balance à Lorie. Rien que pour voir sa bouche pincée et son regard vexé. Magie....

Simone Signorait a dit…

J'avoue tout, j'ai dealé aux vieilles de mon tierquar on m'a direct envoyéd en banlieue me refaire une santé...

Sista yooooooo a dit…

Bah ? Mon com' n'est même pas validé c'est quoi ce bordel !!! SFR a dû buggué -_-

Je te disais que j'avais beaucoup ri en gros :)

Princesse a dit…

J'aime tes coms qui commencent / terminent indéniablement par "j'avais mis ça, en gros".

Love SFR...

Anonyme a dit…

J'ai beaucoup aimé cette tranche de vie surréaliste ! ...Mais heu...serait il possible de changer la fonte des caractères des com' ? Parce que là, boudiou, faut pas être vieux pour lire hein !

Simone S'Ignorait a dit…

Mais Anonyme, je suis entièrement d'accord. Sous prétexte qu'on veut faire cool, on parle subversif et mal. D'habitude je m'en moque la main sur le ventre, et depuis que j'ai créé ce personnage, je me lâche un peu, comme si j'avais refoulé ce côté de moi.

La Scientifique (à Poil sans son blog) a dit…

"parce que soyons lucides, les bénévoles sont toujours des vieux"

...

Putain, comme j'ai ri ! Si tu voyais ceux du côté de chez moi ! Et après, à la troupe de théâtre, ils viennent frimer comme quoi ils apprennent le cé-fran aux gétrans ! Soi-disant bénévolement ! Mais on a pas la même conception du bénévolat en Alsace-Moselle (droit local toussa).

Des bises Princesse

Princesse a dit…

Dis moi seulement que t'as pas l'abominable accent du fermier cowboy de l'année dernière dans l'AEDLP.....
Seigneur dieu ça m'obligerait à t'envisager robuste, les joues rouge de bière, deux tresses blondes entourant ton visage moite....